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Mélissa Laveaux : “Je suis en quête permanente de beauté”

Lydie.M 21 juillet 2019
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Sortie de scène au festival Les Suds à Arles, avec 3 artistes qui ont choisi le chant comme boussole, sur les terres réelles ou fantasmées de leurs racines. Rencontre #2 avec Mélissa Laveaux, après un live électrique et solaire au Théâtre antique.

Ton live est toujours aussi rock. Voire de plus en plus, non ?

C’est un peu mon modus operandi [rires]. Les gens oublient que je viens du milieu du punk et du rock à Ottawa. Du coup, ils sont surpris pendant une demi-seconde, mais après ils rentrent dedans.

C’est une manière d’affirmer que tu viens aussi de cette culture-là ?

Je crée avec ce qui sort de moi. Je n’essaye pas de faire un album par rapport à un style, j’essaye seulement de faire un album honnête.

En même temps, il y a une claire évolution en termes de style, ne serait-ce qu’entre le premier album, plus acoustique, et le deuxième, plus électrique ?

Oui, c’est vrai, mais ça dépend des musiciens et musiciennes avec qui je joue et ça dépend aussi de ce que j’essaye de dire. Moi, je suis née au Canada et en ce qui concerne la musique haïtienne, j’ai d’énormes lacunes. Pour cet album-là [ndlr : Radyo Siwèl est son troisième album ; il revisite une partie du répertoire militant haïtien qui a été créé et chanté sous l’occupation américaine de l’île d’Haïti au début du XXe siècle], je n’allais pas jouer de la musique haïtienne, je ne saurai jamais en jouer comme une Haïtienne proprement dite, je ne maîtrise pas cette musique.

En revanche, je maîtrise mes influences. Et j’aime bien l’idée de me servir de ce que je maîtrise, de ce que je connais vraiment, de ce que j’ai en ma possession. Et voici ce que j’ai : des bribes de chansons haïtiennes, une maîtrise moyenne [rires] de la guitare électrique, de super musiciens et musiciennes qui, contrairement à moi, ont fait le conservatoire. Et des influences multiples.

Quelles sont ces influences ?

Elles vont du trip hop au punk, au grunge, en passant par la musique brésilienne Tropicalia ou encore la musique afro futuriste du début des années 90. J’écoute tout tant que ça me touche. D’ailleurs, pour moi, c’est l’essentiel du spectacle : essayer de toucher les gens le plus vite possible, comme ça, lorsque je parle, ils écoutent ce que j’ai à dire.

Le fait de jouer avec ces influences-là, c’est ce qui t’a permis de dépasser le conflit de légitimité que tu mets en scène dans l’album ? Tu semblais justement dire que tu ne te sentais pas forcément légitime pour transmettre la musique haïtienne.

L’album a été enregistré il y a un bout de temps et, depuis, j’ai grandi [rires]. Aujourd’hui, je me sens légitime car c’est mon histoire : je suis descendante de deux parents haïtiens et de toute une famille haïtienne à qui j’ai envie de faire honneur. L’histoire d’Haïti n’est pas assez connue. Pourtant, elle est commune à énormément de gens. Donc c’est légitime de ma part de vouloir la partager.

Ce serait peut-être illégitime de dire que c’est authentiquement haïtien. Mais, pour moi, l’authenticité, c’est se reconnaître soi-même, reconnaître qui on est. Et moi, je me reconnais en tant que citoyenne du monde, en tant que femme, queer, noire, d’origine haïtienne, née à Montréal, qui a grandi à Ottawa dans une communauté anglophone et qui finalement vit en Europe, à Paris. Et c’est ce qui me permet de jouer de la manière dont je joue.

En quoi ta démarche est-elle militante ?

Parler de moi, raconter mon histoire, c’est un acte militant en soi, car je ne me vois nulle part. Je ne me vois pas au cinéma, ni à la télévision, ni sur les affiches, ni dans les pubs. Je suis invisible, je n’existe pas. À part dans la littérature : il y a une belle littérature de femmes noires d’origine caribéenne, comme Audrey Lorde, Toni Morisson ou Yanick Lahens.

Quand on regarde la manière dont tu as appris le répertoire haïtien que tu transmets à ton public, ta démarche ressemble à celle d’une ethnomusicologue, voire d’une historienne…

Non, moi je suis une conteuse. J’ai lu des anthropologues comme Suzanne Comhaire-Sylvain, j’ai eu beaucoup de conversations avec des ethnomusicologues comme Gage Averill, j’ai commandé beaucoup de livres sur Internet, on m’a raconté beaucoup d’histoires. Et moi, je les raconte à mon tour. Comme une conteuse, pas une ethnomusicologue.

Sur scène, tout à l’heure, tu disais que la scène te permettait de danser, chanter, tout en étant en colère. Qu’est-ce qui te met en colère aujourd’hui ? 

Je trouve ça difficile de ne pas être en colère face au monde d’aujourd’hui, face au patriarcat en général, face à toutes les formes d’oppression et d’abus qui sont maintenues en place juste parce qu’elles rapportent de l’argent ou du pouvoir.

Avant de venir jouer ici, à Arles, aujourd’hui, j’étais dans l’avion et j’ai regardé le film d’Andréa Bescond, Les Chatouilles [ndlr : victime d’abus sexuels pendant son enfance et danseuse, Andréa Bescond a mis en scène son histoire au théâtre et au cinéma]. Ça m’a tellement mise en colère ! Et en même temps, c’était tellement beau.

Pour moi, c’est une œuvre de colère pure mais qui a été transformée. Elle en a fait quelque chose. C’est un bel exemple d’exorcisme qui nous montre comment une colère peut être magnifique en tant que moteur de création d’art.

Pour ma part, il y a des jours, je me sens juste en colère, mais il y a d’autres jours où j’ai envie de faire quelque chose de beau, de magnifique. Et quand on me demande ce que je veux faire de ma journée, je dis que j’ai envie de créer de la beauté. C’est un acte de résistance car la beauté me rend heureuse. Je suis en quête permanente de beauté. Je la cherche et, quand je la trouve, j’en veux encore plus.

Propos recueillis par Lydie.M

Retrouvez Mélissa Laveaux en concert au Trianon le vendredi 11 octobre à 21h (19:30 Ouverture des portes / 20h Première partie)

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